[Tribune Libération] Grippe aviaire : il est urgent de traiter les causes pour éviter de futures zoonoses

Alors que la pandémie de COVID-19 continue de sévir en France, c’est désormais l’épizootie de grippe aviaire (H5N8) que le gouvernement tente de combattre. Les réponses apportées à ces menaces restent focalisées sur les conséquences, négligent le bien-être des animaux et ne répondent pas à l’ampleur des enjeux. Une démarche globale “One Health”, tenant compte de la relation entre la santé animale, humaine et les écosystèmes, est impérative. Les ONG d’Engagement Animaux 2022 regrettent que l’attention ne soit pas portée aux causes de ces zoonoses. La ou le futur Président de la République saura-t-il enfin s’emparer de ce sujet ?

Texte : Tribune publiée sur Libération.fr
Photo : Dans une ferme de canards du Lot-et-Garonne. (Alain Pitton /NurPhoto. AFP)

Le ministère de l’Agriculture a annoncé le 11 mars que près de 650 foyers de contaminations de grippe aviaire ont été identifiés dans le pays, et que des millions de volailles seraient abattus dans le Grand Ouest dans un proche avenir. Présentée comme la pire vague enregistrée ces dernières années, l’épidémie actuelle de grippe aviaire due au virus H5N8 inquiète les éleveurs comme les autorités. Le ministère de l’Agriculture a peu à peu renforcé ses mesures, à tel point qu’elles sont devenues extrêmes. Ainsi, outre la claustration permanente des animaux, leur abattage en masse demeure la solution privilégiée par les pouvoirs publics. À ce jour, 3,5 millions de volailles ont été abattues dans le Sud-Ouest durant cette crise. Ce chiffre effraie d’autant plus que nombre de ces animaux étaient en bonne santé : ils ont été tués de manière préventive.

Ces mesures sont principalement justifiées par les autorités en raison des risques que cette épidémie présente pour la santé humaine. En effet, la grippe aviaire n’est pas seulement transmissible entre animaux ; elle l’est aussi aux humains et peut être à l’origine d’une nouvelle pandémie

Une réalité devenue préoccupante

Cependant, les mesures prises par le ministère de l’Agriculture ne sont en aucun cas une solution de moyen ou long terme, à même de prévenir les risques de maladies infectieuses émergentes. L’intensification de l’élevage (fortes densités d’animaux dans les bâtiments, transports répétés d’une région à l’autre, multiples manipulations par les humains, etc.) et, le cas échéant, l’installation d’élevages sous des couloirs de migration d’espèces sauvages, augmentent le risque d’apparition des zoonoses, de contaminations à grande échelle, et même celui de contamination humaine. Lors de la précédente épidémie de virus H5N8 en 2017, l’ANSES avait par exemple identifié les activités humaines comme ses causes principales.

Les maladies infectieuses d’origine animale sont une réalité devenue préoccupante : elles exigent une prise de conscience et une gestion adaptée des pouvoirs publics. Plus de 70% des maladies infectieuses émergentes en santé humaine sont d’origine zoonotique selon l’Organisation mondiale de la santé animale. Les experts scientifiques, notamment de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité (IPBES), un programme des Nations unies, semblent s’accorder sur l’origine animale du Covid-9 bien que l’animal hôte initial ainsi que le moment de la transmission à l’être humain ne puissent être établis. La destruction des habitats de la faune sauvage, le développement du commerce des animaux sauvages, légal et illégal, la perte de biodiversité, alliés à l’accroissement de l’élevage intensif, sont autant de causes qui constituent un danger sérieux. D’après les experts dans un rapport de l’IPBES publié en octobre 2020, «des pandémies futures vont apparaître plus souvent, se propageront plus rapidement, causeront plus de dommages à l’économie mondiale et tueront plus de personnes que la Covid-19, à moins que l’approche globale de la lutte contre les maladies infectieuses ne soit modifiée.»

Appel à s’engager sur des propositions concrètes

Il est urgent d’avoir une approche préventive quant à la gestion de risques pandémiques. IPBES a estimé que 1,7 million des virus non découverts à ce jour, sont présents chez les mammifères et les oiseaux. Parmi ceux-ci, 540 000 à 850 000 auraient la capacité d’infecter les humains. Les pandémies et maladies infectieuses émergentes coûteraient 1 000 milliards de dollars par an aux gouvernements dans le monde. Les stratégies de prévention de ces maladies, comme l’approche One Health – qui vise à mettre en lumière les relations entre la santé humaine, la santé animale et les écosystèmes et à faire le lien entre l’écologie et la médecine humaine et vétérinaire – ou la réduction du commerce d’animaux sauvages, ont un coût estimé entre 22 et 31 milliards de dollars. Dans une note récente, le Conseil scientifique du Covid-19 insiste aussi sur l’importance d’une démarche One Health.

Les systèmes d’élevage doivent donc évoluer : enfermer et entasser les animaux dans des bâtiments, voire des cages, ne protègera ni leur bien-être ni la santé humaine. Le bien-être animal, et par voie de conséquence la santé humaine, ne seront durablement préservés qu’à partir de l’instant où les animaux seront élevés dans des conditions respectueuses des besoins physiologiques et comportementaux de leur espèce, en ayant notamment accès au plein air.

Les ONG d’Engagement Animaux 2022 appellent les candidats à l’élection présidentielle à s’engager sur des propositions concrètes pour limiter efficacement les risques liés aux zoonoses : 

  • Mettre fin à tout élevage en cages au profit de l’élevage avec accès au plein air d’ici 2027.
  • Intégrer aux formations initiales et continues de tous les professionnels concernés la reconnaissance des animaux en tant qu’individus sensibles, la connaissance du lien entre les violences animales et humaines et les enjeux d’Une Seule Santé et de préservation de la biodiversité.